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Biographie de Oumou Sangare
Elle est la plus grande chanteuse africaine vivante. Ses disques comptent parmi les plus décisifs du genre. Elle a fait plusieurs fois le tour du monde, conquis tous les publics, chanté à Central Park, sur la scène de l'Opéra de Sidney, du Queen Elisabeth Hall de Londres, du Hollywood Bowl, invitée par Tracy Chapman, ou du Budokan de Tokyo.
Tout en menant une carrière de chef d'entreprise aux activités touchant à des domaines aussi divers que l'hôtellerie, le commerce d'automobile ou l'agriculture. Si vous croisez Oumou Sangaré, elle vous parlera avec une immense fierté de ses 10 000 poules pondeuses, de son troupeau de boeufs, des 280 tonnes de riz qu'ont produit les 10 hectares de sa ferme pilote de Baguinéda. Ou de son dernier défi : un élevage de carpes.
Sans omettre de citer ses dernières compositions. Même si elle feint ne pas comprendre notre étonnement. Car immergée sous tant d'occupations, où diable a-t-elle bien pu trouver du temps à consacrer à la musique? « Mais la musique est en moi, se défend cette femme inépuisable, à la générosité sans borne, à la détermination inflexible, au port de tête digne d'une Reine nubienne.
« Sans elle, je ne suis rien et rien ne peut me l'enlever ! » Preuve irréfutable qu'elle n'a effectivement rien perdu de ses talent de musicienne, Mogoya, son premier album depuis 2009, marque son grand retour à la chanson. Enregistré entre Stockholm et Paris,avec la contribution du collectif français Albert, et la participation du légendaire batteur Tony Allen, c'est son premier album pour le label Nø Førmat!, refuge indépendant d'artistes aussi précieux que Kassé Mady Diabaté et Ballaké Sissoko, ses compatriotes maliens.
En détaillant son contenu, on se rend vite compte que si la performance vocale de celle qui
mérite haut la main le titre d'Aretha Franklin subsaharienne reste inégalée, certaines chansons parlent de ce qu'elle connaît le mieux, à savoir les rapports humains (Mogoya peut se traduire par « les relations humaines aujourd'hui »), les problèmes spécifiques que rencontre la femme africaine au quotidien, les rapports souvent difficiles qu'elle entretient avec le monde des hommes.
Ces thèmes l'inspirent depuis toujours. Peut être parce qu'elle en a une connaissance qui dépasse l'entendement du commun des mortels et qu'au fil d'une vie où il lui a fallut se battre contre l'adversité avec un acharnement confinant à l'héroïsme, elle en a tiré une force mais aussi une sagesse qui fait aujourd'hui le miel de son art.
Oumou Sangaré est née le 2 Février 1968 à Bamako, capitale du Mali. Elle est la fille cadette
d'une famille Peul originaire de la région forestière du Wassoulou. Sa mère Aminata Diakité
est chanteuse, comme le fut Noumouténé, sa grand-mère. Enfant, elle a très peu connu son
père, Dari Sangaré, qui a quitté le foyer familial quand elle avait deux ans.
Abandonnée,Aminata se fait commerçante pour faire vivre ses quatre enfants. Oumou lui vient en aide en vendant des petits sachets d'eau potable dans les rues de Bamako. Elle a cinq ans quand
son don pour le chant en fait une véritable attraction dans son quartier. Ayant pris l'habitude de suivre sa mère lors des cérémonies de mariages ou de baptême qu'elle anime,elle s'y octroie à chaque fois une part de prestige devant une assistance émerveillée par la clarté et la puissance de cette voix jaillissant de ce corps d'enfant.
Bientôt c'est toute la gloire qu'elle s'attire lors d'un concours interscolaire où elle fait gagner son école maternelle du quartier Daoudabougou en chantant devant 3000 personnes réunies dans le stade omnisports de Bamako. A 18 ans, Ommou a déjà une longue carrière professionnelle derrière elle. Chanteuse très sollicitée pour les « soumous » (cérémonies nuptiales et baptismales), elle est passée par l'Ensemble National du Mali, a tourné en Europe avec le groupe Djoliba et s'apprête à enregistrer à Abidjan sa première cassette produite par Abdoulaye Samassa, qui a du lui offrir sa propre voiture pour la convaincre d'entrer en studio. La cassette intitulée Moussolou (les femmes) se vend à plus de 250 000 exemplaires, record inégalé à ce jour en Afrique de l'Ouest.
Si la musique très dansante propre à sa région d'origine du Wassoulou l'explique en partie, la raison de ce succès retentissant tient aussi à la nature des textes chantés, et parfois rugit, par cette jeune lionne qui depuis son plus jeune âge a du se battre pour survivre. Se dressant avec fougue contre les abus de la tradition patriarcale africaine, qui autorise la polygamie, encourage les mariages forcés impliquant de très jeunes filles et justifie la pratique de la circoncision, Oumou devient l'égérie d'une cause féministe qui n'a encore aucune assise véritable dans cette partie du monde. Si la liberté de ton dont elle use, l'audace dont elle fait preuve s'explique en partie par son histoire personnelle, elle découle aussi de sa non appartenance à la caste des griots où la retenue est considérée comme vertu cardinale.
Dès lors, Oumou ne prend aucun gant pour aborder toutes les problématiques qui traversent la société africaine. Qu'il s'agisse de la condition féminine, de l'exode économique, de la déforestation, elle s'insurge, dénonce, vitupère avec une force, un talent qui finissent par trouver écho hors le continent africain.
En 1993 sort Ko Sira, enregistré à Berlin, puis 3 ans plus tard Worotan, deux albums parus sur le label World Circuit qui lancent sa carrière internationale. Ce n'est plus pour animer les mariages ou les baptêmes qu'elle est sollicitée mais pour faire rayonner l'Afrique sur les scènes les plus prestigieuses d'Europe, d'Asie ou d'Amérique, notamment par des concerts mythiques ou des duos avec Dee Dee Bridgewater ou Alicia Keys.
Si en 1998 le gouvernement français la distingue en la faisant Commandeur des Arts et des Lettres, c'est l'entrepreneuse que les Nations Unies nomment en 2003 ambassadrice de la F.A.O. (Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture). C'est que parallèlement à sa carrière, Oumou a ouvert un hôtel à Bamako (le Wassoulou), lancé sa propre marque de voiture (Oum sang) et créé sa ferme pilote.
Après Oumou, compilation augmentée d'inédits, elle revient à la musique en 2009 avec Seya,produit par Cheikh Tidiane Seck prouvant que la business woman, modèle de réussite pour toutes les africaines, n'a pas enterrée l'extraordinaire chanteuse, et que la réussite n'a pas éteint la flamme de l'indignée, toujours prompte à dénoncer les injustices.« Quand j'ai débuté ma carrière je n'avais qu'une idée en tête : venger ma mère» nous dit celle qui aujourd'hui dans Minata Waraba (Aminata la lionne) rend un bouleversant hommage à cette mère ayant montré face aux épreuves un courage exemplaire dont la fille s'est toujours inspiré.
Or après avoir subi des blessures d'enfance parmi les plus cruelles - l'abandon du père, l'extrême misère - Oumou doit aujourd'hui se protéger des maux que la notoriété lui attire : la jalousie, la calomnie, l'ingratitude, la trahison. Autant d'atteintes dont Mogoya exprime le dépassement par la musique, notamment sur des chansons telles que Bena Bena et Kounkoun où elle invite à ne pas sombrer dans le ressentiment.
Dans Yere Faga, elle aborde avec une impressionnante franchise l'un des fléaux que connaît la société malienne moderne, le suicide. Faisant référence aux nombreuses calomnies qui l'ont prise pour cible ces dernières années, elle donne en exemple sa volonté à ne jamais s'avouer vaincue. Parce qu'elle a du dès son plus jeune âge assumer des responsabilités au sein d'une famille abandonnée par son chef, elle est en mesure de dispenser des conseils de grande soeur.
Comme sur Kamelemba où elle prévient les jeunes filles de la fourberie de certains garçons dans une partie du monde où le phénomène des maternités précoces est dramatique. A la puissance naturelle d'une voix qu'héberge son corps imposant, s'ajoute ainsi au fil d'un disque plein d'une ardeur restée juvénile, l'autorité morale d'une femme mûre qui puise dans sa propre expérience la sagesse en mesure d'éclairer le chemin de ses contemporains. Si le nom d'Oumou Sangaré demeure associé à la remise en cause de coutumes ancestrales, telles que la polygamie et l'excision, il peut l'être également, avec les chansons Mali Niale, Djoukourou et Fadjamou, à la promotion de certaines valeurs dites traditionnelles.
Dans la première, elle exalte les forces vives de son pays, le Mali, qui tente de se relever d'une crise multiple. Dans la seconde, elle expose à la manière d'un Jean de La Fontaine cette idée élémentaire qu' « on a toujours besoin d'un plus petit que soi. » Enfin dans la troisième, elle vante les mérites de l'appartenance, ethnique ou dynastique, dans une société édifiée sur l'interdépendance entre groupes et familles. En cela Mogoya équivaut au parachèvement d'une conquête, celui d'un équilibre personnel pour cette battante qui donne l'exemple après s'être tracé une voie royale en dépit des préjugés et des obstacles rencontrés. Un équilibre qui est aussi d'ordre musical avec la production de cet album décidément pas comme les autres...
Cette prouesse est en partie due à l'intervention du trio Albert constitué par Vincent Taurelle, Ludovic Bruni et Vincent Taeger, jeunes musiciens français récemment mis à contribution sur l'album Film of Life de Tony Allen. Touches à tout gourmands et inspirés, ils ont en leur faveur diverses collaborations, Sébastien Tellier, Air, Charlotte Gainsbourg,Françoise Hardy, Phoenix, Beck, Gonzales, Franz Ferdinand, Feist, Jarvis Cocker...
Sur Mogoya, à partir d'une base enregistrée à Paris et Stockholm par le Suédois Andreas Unge,dans laquelle explose notamment le talent du jeune guitariste malien Guimba Kouyaté, ils ont ajouté leur french touch, réalisant l'imbrication parfaite entre instruments traditionnels africains - kamele n'goni, karignan, percussions...- et corpus guitare, basse, batterie, claviers. On remarquera ainsi la chaleur qu'apportent des instruments vintages tels que les claviers Rhodes et Prophet 5 ainsi que le Solina String Ensemble, responsable de ces nappes très seyantes habillant certains morceaux.
Si l'expression retro futuriste n'était à ce point galvaudée, on souhaiterait l'attribuer à cet album qui nous parle d'une Afrique aussi éternelle que contemporaine et qui constitue à n'en pas douter l'un des plus beaux achèvement musical de la carrière d'Oumou la lionne.
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