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ALBUM / Blitz par Etienne Daho, comme un éclair dans la nuit pop
15/01/2018

ALBUM / Blitz par Etienne Daho, comme un éclair dans la nuit pop

C'est l'un des événements de l'automne : le retour du Monstre Sacré Étienne Daho. Quatre ans après son dernier disque, il a publié le 17 Novembre dernier son 12ème album - "Blitz". À 61 ans, il ne cesse de se réinventer. "Les Chansons de l'Innocence Retrouvée", son précédent opus, était fluide, lyrique, cinématographique.

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"Blitz" est donc le titre du nouvel album d'un Etienne Daho qui - en cette fin d'année - connaît une actualité débordante. Deux livres lui sont consacrés, le 5 décembre à la Philharmonie ouvrira une exposition dédiée au chanteur, icône pop. L'hiver 2017 est donc la saison Daho. 

Ce "Blitz" est tortueux, brut, incandescent et vaporeux. Visions du 7e art et groupes psychédéliques de la Cité des Anges hantent ce dernier album solaire et inquiet. Et la voix délavée du chanteur ensorcelle des guitares en furie. "Blitz" renoue avec un son plus rock, où le chanteur - faussement léger et plus subversif qu'il n'y paraît - commente la création actuelle dans un monde tourmenté.

« Blitz » signifie en gros « attaque éclair » faisant évidemment référence au bombardement menée par l'aviation allemande sur l'Angleterre durant la Seconde Guerre Mondiale. Daho - sous influence londonienne - a vécu jusque dans sa chair l'ambiance mortifère post attentat et post Brexit au Royaume-Uni et nous livre ici un témoignage empreint de psychédélisme, d'envoûtement et de sincérité.

Au-delà d'être la guerre éclair, le Blitz c'est aussi la foudre, une mise en lumière. Etienne Daho ressent ce climat de tension actuel de manière plus prononcée que ses contemporains, car - petit - il a connu la guerre en Algérie. S'il refuse un quelconque côté Medium dans sa vision du monde, il estime qu'au moindre "regard de travers entre Donald Trump et Kim Jong-Un (entre autres), le monde peut sombrer instantanément dans le chaos".

Ce nouvel album est donc un disque peuplé de fantômes et de compagnons, de souvenirs et de références qu'Etienne Daho maîtrise à merveille. Oui, cet album est réussi. Magnifique même. Plein de directions, de sens et de vie. Une nouvelle preuve bien réelle de ce qu'essaie de réaliser Etienne Daho dans la musique depuis presque 40 ans.

Un album d'Etienne Daho commence ailleurs.

Au moment de l'écrire, le chanteur coupe les ponts et part en voyage. Il s'ouvre les portes d'une autre ville et s'y projette en visiteur nocturne, dans la peau de l'étranger fébrile qui pense que quelque chose l'attend là, au coin de la rue, au fil des boulevards, une vie, une musique et des promesses. Ça peut être New York ou Rome, cette fois c'est Londres, où il vit la moitié du temps, et Los Angeles, ville solaire saturée de légendes, dont "Blitz", 12ème album, celui de la soixantaine, réverbère les éclats.

« La Cité des Anges », Daho l'a choisie pour quelques indices dictés par son éternelle soif d'exploration. Il y suit la piste de fantômes du 7ème art et de groupuscules psychédéliques dont les membres se retrouvent dans des lieux cultes, Little Temple ou Rotary Room, à l'est de la ville, des bars, des caves ou des théâtres d'ombres qui évoquent les nuits électriques, les décors escamotés, les labyrinthes, les aubes décolorées et les lumières fulgurantes du Los Angeles de Mulholland Drive cher à David Lynch.

Sur cette toile vaste et tourmentée, dans le chaos de grands espaces aux orages bibliques, le chanteur de "Pop Satori" pose la musique régulière de sa voix délavée. Son timbre délicatement uniforme, ce tremblement familier, et apaisant, déroule une langue limpide et claire, allitérations, assonances et rimes légères, le faux calme dans la tempête, la poésie d'un « autre monde », le sien.

Comme souvent avec lui, ce disque est fait de rencontres : avec un groupe américain rencontré à Londres - The Unloved - qui intervient sur quelques titres. L'inspiration - elle - est venue pour partie d'une autre rencontre, avec Duggie Fields, ancien colocataire de Syd Barrett - "Dieu" comme le nomme Daho, un "fantôme bienveillant" sur ce disque - le fondateur maudit de Pink Floyd.

Ce 17 novembre 2017 était un jour d'extrême fraîcheur et humidité. Se réfugier au chaud était déjà tout ce qu'il y a de plus réjouissant. Mais la véritable bonne raison de le faire était la première écoute du nouvel album d'Etienne Daho. Son 12ème en près de 40 ans de carrière.

Un jour de fin d'automne, c'était - sans le vouloir - bien choisi, car le 1er single sorti il y a plusieurs mois s'appelle "Les Flocons de l'Eté". Une ballade qui dit que "tout est blanc, tout givré, tout innocent, tout figé, c'est l'hiver en été". Une ballade assurément trompeuse. Daho y évoque l'été 2013 quand il frôla la mort. Le blanc de l'hôpital devient celui d'une neige estivale. Son écriture y est sinueuse, mais elle parle de lui, le jeune homme chic et secret. Ne disait-il pas d'ailleurs en 2015 dans un documentaire sur Arte : "Rien ne vaut ce moment, quand la musique que je suis en train de fabriquer devient la bande son de ce que je suis en train de vivre".

Les 12 titres sont découverts. Enfin terminés, et - déjà - je ne (res)sens pas les défauts de ces morceaux. Daho en bon perfectionniste - auto-proclamé "Psychopathe du Son" - a martelé à qui veut l'entendre son message : "Dans ces chansons, il y a tellement d'arrangements que les équilibres sont précaires. C'est minutieux". Si c'est Monsieur Daho qui le dit...

Pourtant, cela lui colle - étrangement - si bien à la peau, la minutie. Tellement d'arrangements, la réflexion est juste. Etienne Daho - par ces quelques mots distillés au gré des interviews et des plateaux télévisés - donne le climat et la clé de "Blitz" : des couches musicales superposées, comme un enchevêtrement subtil.

Une peur sournoise, une électricité rageuse et l'envie tout à coup de renouer avec ses premières racines musicales.

Celles de Syd Barett, le fondateur de Pink Floyd, l'homme blessé qui a tenté de chercher sa rédemption dans le psychédélisme.

De psychédélisme et d'envoûtement il est beaucoup question dans le nouvel album d'Etienne Daho. Un genre de train fantôme musical où toutes les pistes conduisent à l'incandescence, l'embrasement et la résistance. Avec dans la règle du jeu, la possibilité d'être arrêté sur une fausse piste, comme ce fut le cas pour le tout premier single : "Les Flocons de l'Eté" ou comment "l'hiver en été" parle en fait de tous ces corps qui peuvent friser le couloir de la mort dans un goutte à goutte presque anesthésiant.

Quelques mois après la sortie du 1er single, l'hiver est vraiment arrivé. L'album est terminé, Daho a bossé en studio et cela se voit. "Elles dévalent la vallée", ce sont les premiers mots du nouvel opus. "Les Filles du Canyon" déboulent avec une puissance inquiétante, les guitares sont ravageuses et on imagine Daho au volant d'une Mustang sur une route poussiéreuse, volume à fond. Un peu poseur comme sur les Unes des magazines qui s'affichent sur les kiosques, comme sur le fond rouge de celle du numéro de Rock & Folk daté Décembre 2017, sorti le même jour que "Blitz". Tiens tiens... Comme intégré à un western de David Lynch. Puis vient la plage n°3 : "Le Jardin". Daho reprend la main avec sa voix couleur carmin, une pensée à sa soeur défunte. La mélancolie et le paradis perdu sont les terrains vagues à l'âme de Daho.

Toujours, quand Etienne Daho voyage, c'est pour revenir à lui-même. Les sons les plus lointains se glissent dans les failles d'une même intimité, les décors se transforment à l'infini ­autour d'une éternelle quête d'amour, d'étreintes éperdues, de huis clos fantasmés, dévastés par les amants passionnés, tels ceux qui hantent la "Cham­bre 29". Les images recomposent les visions romantiques du passé, mais se chargent de lave et de sang. Des cieux éclatants de l'album californien tombe une pluie acide. "Les Baisers Rou­ges", slow d'été embrumé de chaleurs qui fera fondre les fans les plus énamourés, est traversé par une sourde menace. La mort rôde à l'horizon, des guitares comme des reptiles rampent à contre-courant. « Embrasse-moi, supplie notre Dorian Gray, j'aime tes baisers, mon miroir pour l'éternité. »

Une chanson, "Les Flocons de l'Eté", sert de balise au milieu de l'album, elle le scinde en deux comme un signe au milieu des déserts (et des mers) que les musiciens traversent pied au plancher. Elle se distingue des autres, et si elle ne tremblait pas sous un masque de givre, elle pourrait sortir de "Eden", son chef-d'œuvre - un peu - maudit et gorgé de soleil de 1996. Cet été en forme d'« enfer blanc », il l'a connu au moment où sortait son disque précédent, "Les Chansons de l'Innocence Retroouvée". Une opération de routine a mal tourné et failli lui coûter la vie, un choc physique qui a fait de lui un convalescent rempli de doutes et irradié de désir, une secousse sismique pour un homme en quête d'éternelle jeunesse, et dont l'œuvre n'est qu'une suite de nouvelles naissances.

"Voodoo Voodoo", 7ème morceau. Métallique et puissance toujours, la voix se faufile, s'insinue comme un serpent dans le brouhaha. Il est loin le temps où certains mettaient en doute la voix du chanteur. Pour cet album qui pourrait bien être son plus rock, Etienne Daho glisse du côté de Depeche Mode, parfois de U2, toujours des artistes rock Britanniques assurément. Avec un invité mystère : Syd Barrett.

En effet, cet album a été écrit à Londres d'où le titre "Blitz", en référence à un Londonien illustre disparu en 2006 : Syd Barrett - guitariste et chanteur éphémère de Pink Floyd à ses débuts - qui fascine Daho depuis toujours. Fondateur des Pink Floyd, icône brûlée des années 60, inventeur de folie, Barrett sombrera dans la maladie mentale à cause de sa surconsommation de LSD - entre autres drogues - mais laisse l'image du génie en musique. Daho dit souvent que les mélodies et les mots lui ont sauvé la vie. Lui aussi fut un brûlé. Mais contrairement à Syd Barrett, il n'a pas renoncé et à plus de 60 ans, il a traversé les époques. Aujourd'hui, même s'il est en voie de devenir le parrain de la pop française, il montre qu'il n'a aucune envie de se poser et de se retourner vers le passé, pour regretter.

Au-dessus de "Blitz" plane le fantôme de Syd Barrett - le fondateur de Pink Floyd - lequel exerce une véritable fascination sur Daho. "The Piper At The Gates Of Dawn" est le premier album qu'il a acheté à peine adolescent. La suite de son histoire passionnelle avec Syd Barrett c'est Etienne lui-même qui en parle le mieux : "Plus tard, un ami m'a offert sa biographie. J'y ai lu que l'appartement dans lequel il avait vécu et dans lequel il a été photographié pour la pochette de son premier album - "The Madcap Laughs" - était situé à 100 mètres de mon domicile à Londres. Le jour même, malgré la grippe, je me suis levé et dans un brouillard fiévreux, je suis parti à la recherche de cet endroit. C'était hallucinant, comme un signe étrange. J'ai pu visiter son ancien appartement à Londres. Un moment bouleversant. En sortant, j'ai écrit 3 chansons : "Chambre 29", "Les Cordages De La Nuit" et "Après Le Blitz". Quelques jours plus tard, j'ai croisé dans un salon de thé, l'ancien colocataire de Syd Barrett, le peintre postimpressionniste Duggie Fields, avec qui j'ai sympathisé. Il m'a fait découvrir un aspect méconnu de la vie de Syd Barrett".

La musique psychédélique, c'est tout ce que j'ai parfois essayé de fuire pendant 35 ans mais là, vu la claque prise lors de la tournée précédente, consécutive à son album "Les Chansons de l'Innocence Retrouvée", j'en avais même presque envie. "Blitz" est comme une traversée d'espaces très différents, sans jamais que l'intensité ne se relâche. Plus que du psychédélisme, Daho fait de l'impressionnisme sur disque, sa voix émergeant des volutes sonores : un album comme l'époque, "toujours sur la corde raide".

Et jusque sur la pochette - son visage face à l'objectif, casquette en cuir et fumée sortant de la bouche - Etienne Daho imprime sa marque, sa direction, ses choix. Le tout forme un album d'une rare intensité.

Les 12 morceaux produits avec Fabien Waltmann et Jean Louis Pierot prouvent qu'il est toujours un chercheur, un laborantin des mélodies et des sons, l'un des meilleurs de la Pop française.

Il y a deux ans, Étienne Daho a frôlé la mort. Une péritonite le pousse à l'hôpital. Dans son lit, il écrit "Les Flocons de l'Eté". Point de départ de cet opus qui forme une sorte de triptyque avec les disques "Pop Satori" (1986) et "Eden" (1996). Ils ont tous les trois été enregistrés à Londres et marquent des changements de dizaines pour l'artiste. Pourtant, Daho le répète en boucle, il est toujours ce fan qui s'endetta en invitant les Stinky Toys à jouer à Rennes en 1978. Le voici à 61 ans, toujours vibrant de fantasmes adolescents en suspens, qui pose pour son nouvel album, l'inquiet "Blitz", comme dans une copie de l'affiche de "Scorpio Rising", le film expérimental de Kenneth Anger, datant de 1963.

À l'origine baptisé "Canyon", Étienne Daho a finalement intitulé cette collection de chansons "Blitz". Pourquoi ? Réponse du chanteur : "Il y a eu le Brexit, les attentats à Londres... Le mot revenait très souvent, et il comporte une énergie... D'un coup, c'était évident que ça devait être "Blitz". Un mot court en opposition à l'album précédent avec un titre à rallonge !"

C'est l'album le plus pénétrant, hypnotique et psychédélique de sa discographie.

Étienne Daho y bouscule une fois encore la pop française. "Blitz" est un disque dense, ardu, touffu mais surtout iconoclaste. À la fois fidèle à son passé et empreint d'une envie de renouvellement. L'artiste est encore allé chercher du sang neuf pour ne pas bégayer.

Il convie notamment pour un duo la chanteuse d'un groupe inconnu au bataillon qui s'appelle The Unloved. Mais pour le chanteur, qu'est-ce que la pop en 2017 ? "La Pop c'est transgressif. Pour moi, la Pop n'est pas que hédoniste et plaisante, elle a aussi son pouvoir de faire bouger, de provoquer".

La musique est un philtre de vie. Etienne Daho l'a toujours cru, il en traque les nouvelles formules, les formes les plus étranges, les moins courantes, depuis ses années d'étudiant à Rennes où il tentait de convertir sa ville aux ondes du Velvet Underground, de Syd Barrett ou des Stinky Toys. La musique se régénère toujours dans la nuit, la curiosité et les rencontres, les Californiens de The Unloved ou le visionnaire Fabien Waltmann, jeune Français de Londres, pour ce "Blitz". La passion ne vieillit pas et le « survivant tout flingué » revient au pays des vivants avec un appétit immense et une nouvelle grâce. Outre les splendeurs sonores, les espaces dilatés par la réverbération des guitares, Etienne Daho écrit mieux que jamais, une poésie de jeune homme, à fleur de peau, celle des « dimanches pluvieux, à l'épreuve du feu, à Montparnasse », celle de "L'Etincelle", où il retrouve « l'éclat vénéneux » de ses adaptations de Jean Genet (avec Jeanne Moreau). Une nostalgie pleine de crânerie et de vigueur portée par de sublimes violons qui disent que ce que l'on chante ne peut disparaître. Et "Blitz", comme un nouveau souffle, se referme sur ces mots : « Nous allons voyager léger. »

À l'aube de la soixantaine, le chanteur français présente un 12ème album qui oscille entre rock acidulé et pop sensuelle. Étienne Daho reste en effet fidèle à l'influence du rock anglo-saxon des années 60 et de la pop française. Autre leitmotiv : la quête du moment parfait, de l'été, du bonheur chaud.

Dans un registre annoncé comme « psychédélique », le chanteur a voulu lancer « un défi, un bras d'honneur à la torpeur ambiante », nous enjoignant à « rester léger face au danger », lui qui à failli mourir lors des derniers préparatifs de ses "Chansons de l'Innocence Retrouvée". "Blitz" serait donc « l'un des albums les plus aventureux de ses presque quarante années de funambulisme pop, à la fois fresque psychédélique de haut vol et recueil de ballades planantes qui ajoutent quelques chapitres ("Les Flocons de l'Eté", "L'Etincelle") à cette déclinaison de l'élégance française dont Daho est l'incontesté souverain ».

A chaque nouvel album, Etienne Daho aime se perdre dans un vertige qui l'aspire. Comme pour l'album "Eden", il y a dans ce nouveau disque qui plonge ses racines dans l'apocalypse de tous les infidèles, l'idée de la Résurrection qui passe fatalement chez Daho par la "res-érection"...

Le désir plus fort que la mort, la condition humaine qui résiste à la mythologie d'un Syd Barrett qui tend ses bras dans une chambre, à couteaux tirés, où la corde est tendue sous nos pieds. Daho exulte, fait face à la mort, nargue les peurs ancestrales revenues malheureusement jeunes et fières. Sur des galops de guitares essorées par l'envie de survivre, un groove suintant de backroom désertée, la voix blanche de Daho hante chaque particule fine de ses chansons vénéneuses pour devenir plus chaude que le miel. La liqueur licencieuse de ce réveil adolescent que symbolise chaque nouveau disque de Daho. Il y a la réalité du moment grave et intense, il y a la promesse d'après le "Blitz" que Daho développe dans une chanson manifeste aux contours de résilience. Nous danserons sous les bombes, derniers adieux à l'autre monde. Toi et moi, toi et moi. Nous resterons légers face au danger.

Saint Etienne, ne priez pas pour nous mais continuez de chanter pour nous.

Chronique rédigée par Manu pour All You Need is Music

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